Aix les Bains vu par Stephen Clarke

Aix les Bains vu par Stephen Clarke, 

invité d'honneur 2021

"Étant pionniers dans le domaine du thermal, il est peu étonnant que les Romains m’aient devancé dans la découverte d’Aix les Bains. J’y suis arrivé pour la première fois il y a une vingtaine d’années – non pas pour une cure thermale, mais parce que j’avais entendu parler du lac.

Il faut savoir que, pour un Britannique comme moi, le lac du Bourget est un miracle de la nature. Chez nous, on ne se baigne pas dans les grands lacs. Dans le bien nommé Lake District au nord-ouest de l’Angleterre, la température de l’eau varie entre zéro et deux degrés (en été, je veux dire). Et en Ecosse, comme tout le monde le sait, les « lochs » sont infestés de monstres.

C’est un ami anglais qui m’a parlé d’Aix les Bains. Lui non plus, il n’était pas venu pour aspirer les vapeurs ou se cuire les articulations. Il faisait du parapente, sport qui ne m’intéresse pas (je préfère les activités qui comportent un risque de chute de moins de deux mètres, comme le foot, la natation ou la guitare). Il était en train de me montrer des photos qui donnaient le vertige, quand soudain j’ai aperçu un miroir turquoise. Il y avait un lac géant en bas de sa montagne ?

Oui, un lac, m’a-t-il confirmé, on s’est baignés dedans, oh, regarde cette photo d’un nuage en gros plan…

Mais j’étais déjà en train de googliser « Aix Bains lac » (si toutefois Google existait il y a 20 ans), et cet été-là, j’ai fait la connaissance du lac du Bourget.

Il faut peut-être expliquer ces attraits pour un Britannique moyen. 

D’abord, malgré une assez longue tradition de voyages internationaux, le Britannique est toujours émerveillé devant l’opportunité de se baigner dans une eau limpide. Jusqu’à assez récemment, nos mers à nous étaient plutôt couleur soupe de poireaux. 

J’ai grandi au bord de la Manche, sur des belles plages de sable, mais jeune, je n’ai jamais vu mes doigts de pieds sous l’eau. L’hiver, le journal local parlait de projets d’amélioration des stations d’épuration, mais apparemment les conseillers municipaux préféraient dépenser leurs budgets sur les rideaux de la mairie.

Alors plonger dans un lac limpide, à la température douce, c’était le rêve pour moi. Et l’eau d’un lac caresse là où l’eau de mer pique. A Aix les Bains, on peut presque boire en nageant (et un Anglais est attiré par toute activité qui peut être accompagnée par la boisson).

J’ai vite découvert le lido avec ses grands toboggans, où j’ai dû faire mille descentes par jour avec mes enfants, provoquant un seul accident. Une fois, ma fille et moi sommes arrivés en bas du plus long toboggan, juste derrière une dame. La heurtant avec nos pieds, nous l’avons projetée dans le lac, avant d’atterrir dans l’eau pile sur sa tête. Après avoir craché quelques litres de jus du Bourget, elle nous a accusés d’avoir ignoré le feu vert en haut du toboggan. Furieuse, elle demandait même que nous soyons exclus du lido. 

Heureusement pour nous, les maîtres-nageurs avaient tout vu, et ont expliqué à la dame qu’il n’est pas conseillé de s’arrêter en pleine descente pour dire coucou à sa famille. L’honneur britannique était sauf.

Les soirs d’été au bord du lac étaient aussi délicieux que les journées. Ce climat doux, cet air tranquille, les restaurants qui servent les poissons du lac et le vin blanc local (aux adultes, bien sûr – les petits Anglais ne commencent pas à boire avant le collège). C’était le contraire presqu’exact des étés de ma jeunesse, marqués par les fish and chips sous la pluie.

Plus tard, j’ai appris qu’Aix les Bains avait attiré beaucoup d’Anglais avant moi, et des très célèbres, à commencer par la reine Victoria. Je l’imagine bien s’amuser au lido – ayant une si grande famille, elle se serait sans doute arrêtée sur le toboggan pour leur faire coucou. Mais au 19e siècle, les Anglais aisés et royaux étaient plutôt attirés par les eaux thermales, ainsi que les bienfaits du casino.

« Taking the waters » était un sport pour la haute société britannique avant la première guerre mondiale. Ayant les moyens de trop manger, boire et fumer chez eux, les riches Anglais essayaient de se racheter une santé en faisant le tour des spas d’Europe – par exemple, Baden-Baden, Marienbad et Aix les Bains. Pour s’amuser entre deux cures, ils perdaient à la roulette, ils faisaient de longues promenades au bord des lacs, et ils mangeaient, buvaient et fumaient trop, pour se donner une raison de revenir la saison suivante. 

Personnellement, depuis ma première visite à Aix les Bains, les motifs de mes fréquents retours ont été plus sains – la baignade, les promenades en bateau (électrique, non polluant), les poissons du lac (produits de la pêche artisanale), le vin blanc (avec modération). Autant d’éléments qui calment et revigorent l’esprit en même temps, une cure idéale pour le cerveau d’un écrivain anglais. 

Ce qui me donne une idée : je vais demander à mon généraliste parisien si ma prochaine visite au lac ne peut pas être remboursée intégralement par la sécu. Il pourra sans doute me faire une ordonnance pour des soins artistiques, une cure créative, de la baignade culturelle…"


Stephen Clarke, mai 2020.

Le dernier livre de Stephen Clarke est Elizabeth II ou l’humour souverain, paru chez Albin Michel.

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